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Sarrebourg : un pour tous, tous contre un

par Antonin Van Der Straeten 9 Mars 2020, 15:16 Politique Municipales 2020 Sarrebourg

Ces vingt dernières années, les batailles municipales sarrebourgeoises se sont faites en comité réduit : trois listes en 2001 et 2014 et seulement deux en 2008 quand il s’en était fallu de 282 voix pour que la ville bascule dans le giron de la gauche, à l’époque menée par Jean-Yves Schaff. En face de lui, Alain Marty arguait déjà dix-neuf ans de mandature. Douze ans plus tard, le spectacle a changé, s’est étoffé en personnages mais les principaux protagonistes sont encore sur le devant de la scène — ou presque. Au-delà des deux meilleurs ennemis, dont l’un n’est plus cette fois tête de liste mais numéro deux derrière la conseillère régionale Catherine Vierling, trois autres listes sont en lice pour décrocher le graal municipal :

 

- Servir Sarrebourg, menée par Alain Marty, maire de Sarrebourg depuis 1989, conseiller général de Sarrebourg de 1998 à 2002 et député de la Moselle de 2002 à 2017 ; une liste que je classerais dans une droite traditionnelle, libérale et conservatrice.

- J’aime Sarrebourg, menée par Catherine Vierling, conseillère régionale (anciennement LR) ; une liste en teinte patchwork puisque sur cette liste figurent des anciennes gloires de la gauche locale et des délégués de la République en Marche, comme Nicolas Quenouille, président du centre socio-culturel de Sarrebourg.

- Pour Sarrebourg, agissons ensemble, menée par Jean-Marc Weber, adjoint à la circulation de la majorité sortante ; une liste que l’on peut considérer comme dissidente à la majorité, sur une ligne politique similaire.

- Sarrebourg Patriote 5 étoiles, menée par Dominique Biry, ancien membre du Front National, soutenue par le Mouvement 5 Étoiles International et l’association Patriotes et Républicains, sur laquelle on retrouve notamment Bernard Brion, conseiller municipal FN sortant ; cette liste a une tendance populiste, souhaitant séduire par-delà les clivages supposés de la politique.

- De la colère à l’espoir, menée par Fabien Kuhn et Catherine Grosse, ancienne candidate aux élections législatives de 2017 sous l’étiquette France Insoumise, ralliés dans la cause par l’ex-candidat de l’Union Populaire Républicaine (UPR) à la même élection, Simon Giessinger. Cette liste est marquée à gauche, bien qu’elle se dise trans-partisane.

 

Recomposer le paysage politique sarrebourgeois ?

 

Quand le nombre de liste augmente, et ici de manière assez significative, c’est que la volonté de changement à la tête de la ville est forte, peut-être d’ailleurs parce que le sortant est âgé et qu’il avait initialement prévu de se retirer de la vie politique après quarante-neuf ans de mandats parfois et même souvent cumulés. Ce qui est aussi visible, c’est le peu de renouvellement de son équipe : Bernadette Panizzi, Louiza Boudhane, Camille Zieger et Roland Klein sont toujours là, de même que Patrick Ludwig, Philippe Sornette ou Laurent Moors. Une jeune garde, incarnée par Etienne Krekels et Céline Bentz, fait également partie de la liste mais semble proportionnellement moins mise en avant que les anciens d’une mairie gérée comme une grande famille — avec les avantages et les inconvénients, cela va de soi. Le député Fabien Di Filippo, seul présent sur l’affiche de campagne auprès d’Alain Marty malgré sa troisième position sur la liste, sert quant à lui d’alibi national de qualité pour justifier de la rigueur de la liste. 

La dissidence de l’adjoint Jean-Marc Weber, médecin généraliste de profession, est issue de la gestion en maire de famille : du fait de la supposée retraite de l’ancien disciple de Messmer, nombreux ont été ceux qui souhaitaient devenir calife à la place du calife, ce que le maire n’a été capable d’endiguer qu’en y allant lui-même, la relève étant moins naturelle qu’en 1989. La candidature du médecin généraliste n’en demeure pas moins sérieuse et équilibrée : les âges sont divers et les horizons également. Nombre des colistiers sont novices en politique, et c’est sans doute cela qui motive encore davantage l’équipe, qui marche toutefois sur les mêmes platebandes que la liste du sortant.

L’expérience de quelques uns augmentée de novices s’incarne également dans la liste 5 étoiles, emmenée par deux anciens membres du Front National. L’envergure d’une telle liste ne sera cependant pas la même que si elle avait été estampillée de la marque Rassemblement National qui a des bases solides en Moselle Sud. Même, la chalandise politique de cette liste ne se veut pas identique à une liste RN, ce qui restreint encore davantage les possibilités de bon score en raison de la pluralité des listes, surtout sur le côté droit de l’échiquier. Peu de chances subsistent dans l’export du mouvement de Beppe Grillo au pays de Messmer.

Peu de chances, c’est également ce qui incarne la liste De la Colère à l’Espoir : menée par Fabien Kuhn et Catherine Grosse, cette liste compte sur les voix de gauche pour exister dans une ville profondément marquée à droite. Quelques résistants du mouvement des Gilets Jaunes pourraient également se tourner vers cette liste. Si elle compte quelques personnes d’expérience, comme Danielle Game, déjà présente sur des listes municipales auparavant (avec Jean-Yves Schaff en 2014 par exemple), ou encore deux anciens candidats aux législatives de 2017 (France Insoumise et UPR)  la grande majorité de la liste n’a qu’une faible expérience politique : c’est même le cas de sa tête de liste, Fabien Kuhn. Quant à voter pour Catherine Grosse, cela reviendrait à confier les clefs de la ville à n’importe qui. Elle est bel et bien le bémol d’une liste qui se voulait sérieuse.

Le sérieux semble également être ce qui caractérise la liste menée par Catherine Vierling : nombre de ses colistiers sont des gens d’expérience venant d’horizons politiques divers. En effet, si la tête de liste est une dissidente des Républicains, ne siégeant plus avec eux au Conseil Régional mais avec le groupe Alsace et Territoires, ceux qui briguent la mairie avec elle sont pour certains des anciens colistiers de Jean-Yves Schaff en 2008 et 2014, à commencer par l’enseignant lui-même. Nurten Berber-Tuncer et Jean-Luc Ruinet sont de ceux-là. La liste compte également dans ses rangs le délégué local de LREM Nicolas Quenouille, qui briguait lui-même dans un premier temps la mairie. Sa présence donne une étiquette particulière à cette liste, qui cherche avant tout à plaire à tout le monde pour battre le sortant Alain Marty. Elle en est sans doute l’adversaire le plus coriace mais la venue en huitième position du soutien d’Alain Fontanel à la mairie de Strasbourg est pour beaucoup considérée comme une tentative de positionnement d’un sous-marin du parti présidentiel dans la campagne sarrebourgeoise.

 

Des alternatives crédibles ?

 

Fort de ses cinq mandats et de sa riche expérience politique, Alain Marty, 74 ans, aurait pu se retirer et laisser couler une retraite tranquille, mais il a choisi d’assurer la continuité pour éviter à son camp de perdre. Face à lui, quatre listes sont autant de camps qui ont une cause commune : battre le sortant. Leur programme mérite d’être lu et pris en considération, et ce d’autant plus qu’Alain Marty semble vouloir continuer dans le même sens : de la sécurité, une desserte maintenue d’un TGV vers Paris (alors que la proximité de la LGV-Est permettrait d’en avoir trois sans que cela génère de perturbations sur le réseau et par conséquent des travailleurs plus qualifiés habitant dans la ville) et le réaménagement plutôt réussi du quartier de la gare. L’urgence climatique vient enfin prendre une place dans ses engagements.

 

Ces quatre listes n’ont pas le même devenir politique, bien entendu ; et la possibilité d’en voir une sortir du lot face à Alain Marty et sa mécanique huilée semble assez restreinte. Si Catherine Vierling a fait ses preuves en apportant des financements précieux de la région à la commune et à ses alentours, elle n’en demeure pas avare en projets pour la ville : la redynamisation du centre-ville et l’amélioration des conditions de travail dans les écoles sont des points qui vont dans sons sens, de même que la construction d’une salle de spectacles plus imposante que le centre socio-culturel ou l’espace le Lorrain, ce qui permettrait à la ville d’avoir une envergure culturelle importante dans le triangle des grandes villes d’Alsace-Lorraine. Nombre de villes alsaciennes ont fait ce choix et la programmation y est parfois très intéressante : l’espace Rohan de Saverne, les Tanzmatten de Sélestat ou la Nef de Wissembourg. Le bémol de cette liste réside dans la présence des marcheurs, qui souhaitent une ville à la gestion entrepreneuriale, un paradoxe dont seule LREM a le secret.

 

Du côté de Jean-Marc Weber, les propositions ne pleuvent pas et son seul engagement comme se voulant successeur d’Alain Marty a pour le moment valeur d’argument. La propreté et la sécurité sont les seules véritables lignes de bataille de la liste du médecin généraliste. Autrement, c’est assez saharien. Le désert, c’est aussi ce qui représente la liste de Dominique Biry, quasiment inexistante sur les réseaux sociaux par exemple. Ces deux candidatures sont assez satellitaires et ne devraient pas peser très lourd dans la balance finale du scrutin.

 

Enfin, la liste écologiste et citoyenne menée par Fabien Kuhn et Catherine Grosse aurait pu être une belle initiative. Le jeune homme et tête de liste est une valeur intelligente de la ville et son discours semble cohérent, notamment sur des aspects de justice sociale et d’écologie : amélioration des transports collectifs et non polluants, une volonté de valorisation du centre-ville, notamment les jours de marché. La présence de Simon Giessinger sur cette liste témoigne de l’ouverture de la liste à des horizons qu’on pourrait qualifier de tout à fait opposés à ce que l’on peut imaginer. Au-delà du clivage et avec des valeurs communes, il est possible de s’entendre pour parvenir à un projet qui puisse réunir un grand nombre de gens. Cependant, la présence de Catherine Grosse, opportuniste de longue date, est un frein à la constitution d’une liste humaniste : s’étant éloignée, comme moi, de la France Insoumise, où elle s’était imposée en vicieuse dans le groupe d’appui de Moselle Sud pour atteindre le score de 5,97% au premier tour de l’élection législative de 2017, elle n’a jamais clarifié ses positions et utilise personnellement les moyens de communication dudit groupe pour la promotion de sa liste. Elle n’est par ailleurs pas capable d’argumenter et bloque toute discussion — en supprimant les commentaires Facebook qui ne lui plaisent pas par exemple. Elle n’a en définitive aucune fibre humaniste et écologiste : elle suit le vent, pour entreprendre et trouver sa propre place. Sans elle, la liste de Fabien Kuhn aurait été un troisième bloc tout à fait crédible.

 

Le centre comme périphérie et les périphéries décentrées : entre ingérences régionales et sous-entendus douteux.

 

Depuis longtemps, le centre-ville de Sarrebourg « s’ankylose », pour citer Nicolas Quenouille ; la faute aux politiques que lui-même défend et qui accroissent les zones commerciales de périphérie, qui deviennent les nouveaux centres des villes et obligent très souvent les habitants à utiliser leur voiture pour le moindre changement d’enseigne. Ces mêmes enseignent tuent petit à petit les commerçants et seuls quelques pionniers de la Grand’Rue subsistent : Hémisphère, Krekels ou Zolger Sports. On ne vient au centre-ville que pour des services comme la téléphonie, les banques ou les assurances. Même les cafés se trouvent trop souvent vides. C’est de la responsabilité du prochain maire d’assurer la revitalisation de ce centre-ville historiquement jovial et accueillant, en allant au-delà des textes d’Action Coeur de Ville et pour le respect de ceux qui font de la route pour venir en Moselle Sud. Outre les habitants de l’Alsace Bossue qui privilégient Sarrebourg à Saverne (qui eux privilégient Strasbourg accessible en trente minutes), les touristes de plus en plus nombreux grâce à l’attrait du Domaine des Trois Forêts doivent voir une ville agréable et attractive : dans les pays du nord de l’Europe, le choix des destinations touristiques est fait grâce au bouche à oreilles dans la plupart des cas.

 

Une ville verte aux commerces humains, de proximité, est donc une première garantie de pérennité, et cela passe par une réorientation des choix d’installations commerciales afin de voir grandir une ville qui serait un véritable pôle urbain d’une périphérie rurale qu’on ne choisirait pas par défaut et parce qu’on y habite depuis plusieurs générations. Cela passe une bonne gestion et des projets ambitieux pour lesquels Sarrebourg a les épaules. A cet égard, l’idée de l’équipe de Catherine Vierling quant à la construction d’une salle de spectacles est à voir d’un bon oeil. Améliorer la desserte du centre-ville, idée de Fabien Kuhn, est une des clefs d’un développement central de la commune et maintenir le bon état de la voirie et des places de stationnement gratuites comme l’a fait la municipalité sortante fait partie du bien vivre de la ville. Pourquoi ne pas voir plus loin en améliorant l’accès à la ville avec d’autres lignes de transports collectifs et avec une augmentation des trajets à la demande ? Une synthèse des programmes pourrait faire un excellent projet pour Sarrebourg.

 

Malheureusement pour la ville, la campagne est ponctuée de ce dont les gens sont lassés : entre ingérence du président du Conseil Régional et les sous-entendus de la cible de cette lettre concernant la majorité sortante, on aimerait un grand déballage. Une chose est sûre, la démocratie municipale bat son plein et ce n’est pas une mauvaise chose en ces temps de 49-3 et de centralisation de l’information quant au scrutin municipal sur la capitale. Agnès Buzyn a méprisé l’hôpital de Sarrebourg — qui doit continuer d’exister avec l’intégralité de ses services, céder à une fusion avec Saverne serait un retour en arrière commandité par les baisses de financements publics engendrés par le gouvernement — comme tous les autres ; les sarrebourgeois ont le droit de mépriser sa candidature à Paris. C’est bien l’avenir de leur ville qui les intéresse d’abord, c’est elle qui les raccroche à la République et pour beaucoup, rien d’autre.

 

Je ne fais pas de pronostic, sinon celui du manque certain de surprises au soir du 15 mars prochain.

Sarrebourg : un pour tous, tous contre un
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