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Une campagne médiocre et un débat lunaire : aux urnes, citoyens ?

par Antonin Van Der Straeten 22 Avril 2022, 18:56 Chroniques Politique

La France méritait mieux. Mieux que l’arrogance et l’agressivité d’un président qui s’est comporté pendant trois heures comme il s’est comporté pendant cinq années – méprisant aussi. Mieux que les imprécisions et le manque de courage de celle qui accédait pour la seconde fois à l’exercice – mieux préparée, mais peut-être toujours pas consciente de l’enjeu, peut-être même le refuse-t-elle. Quand lui attaquait par la forme, elle tentait de répondre sur le fond. Oui, la France méritait mieux que ce débat lunaire qui cherchait asymptotiquement un sens.

 

Ceux qui me connaissent savent que chaque élection est pour moi un moment de donner mon avis, aussi honnêtement que possible, mais auront surtout remarqué que je m’étais abstenu de tout commentaire public, sinon quelques fantaisies sur des candidats qui l’étaient tout autant, jusqu’à aujourd’hui, sans doute réveillé par le médiocre débat qui annonce le second tour de cette élection présidentielle et parce que je crains les conséquences de celui-ci sur notre pays. D’abord, il n’est pas chose aisée que de préparer un concours en gardant un oeil attentif sur les débats, les rudesses de l’agrégation m’auront toutefois permis de garder cet oeil ouvert quand le soir venait : la teneur des débats était par ailleurs tout à fait à l’image de cette campagne : lamentable. De même, mon candidat n’ayant pas réuni un nombre suffisant de parrainages, je ne me suis pas rabattu sur un autre pour m’engager par défaut. Aussi ai-je hésité jusqu’au matin du premier tour avant de faire un choix, sans doute lui aussi par défaut, et certainement pas le plus en adéquation avec ma pensée.

 

Au soir du premier tour, j’étais amer, très amer. Comme si cinq années de mépris et d’arrogance n’avaient pas vacciné les Français contre la randonnée macronarde, qui erre toujours dans le maquis de l’inconsistance idéologique et politique. Comme si cette affiche en bulletins recyclés n’avait pas été suffisante pour une soirée d’avril deux mil dix-sept. Dans cette « campagne de merde » où rien n’allait, il y eut un espoir de voir quelques lignes bouger à mesure que venait le scrutin ; je n’en étais pas convaincu moi-même parce que j’avais vécu cette frustration auparavant et que, au regard du bilan de chacun des candidats ces cinq dernières années, qu’il eût été au pouvoir ou non, il y avait de quoi être chagrin : celui qui envoyait la police et son préfet zombi, celui qui n’était pas dans le même camp, taper sur des citoyens en colère, fatigués d’être mis au ban, autant socialement que démocratiquement, lassés de ne voir que les inégalités qui se creusent et toujours plus de pauvres ; celle qui a passé cinq années à se préparer à être une nouvelle fois l’épouvantail alors qu’en arrivant dans cette position, et compte tenu du bilan du sortant, elle n’aurait eu qu’à dérouler comme l’aurait fait le troisième homme, sans aucun doute. Celui-ci m’a tiré quelques jurons dès la fin de mon engagement avec lui, à l’été deux mil dix-sept, et plus encore tant avançait son mandat de parlementaire. Le République, ce n’est toujours pas lui, et les jeunes qui le secondent n’arriveront vraisemblablement jamais à faire mieux, sinon en arrangeant des gaspachos électoraux pour espérer peser lors du « troisième tour ». Les comptes de campagne, la marche du dix novembre, les accusations de fascisme à tort et à travers, rien ne me prédestinait à participer au chant du cygne de l’Insoumis ; j’ai cependant cédé, mu par les possibles chances d’empêcher ce nouveau duel morbide et bien que j’eusse été plus proche du communiste nordiste ou du résistant béarnais.

 

Pour le reste, la question ne s’est même pas posée, et il a bon fait de les laisser au fond du panier, là où restera leur empreinte politique. Notre-Drame-de-Paris et la Princesse de Neuilly ont fait résonner le glas de leurs partis respectifs, sans que cela ne sonne comme une catastrophe, sinon financière pour eux-mêmes. Il en est allé de même pour le Seigneur des Éoliennes et son troupeau de vitres, inexistants dans le débat et dans les urnes, bien que leur combat initial soit sûrement le plus important ; fatalement, l’écologie ne parle qu’aux plus aisés et, paradoxalement, aux plus mondialisés. Dans ce marasme, il est une chose amusante qui est de voir ceux qui ne font que quatre pour-cent — même moi, j’ai fait plus, c’est vous dire — venir quémander quelque denier pour ne pas s’endetter davantage. Comment donc, madame de Neuilly n’était-elle pas hostile à ce qui est couramment appelé l’assistanat ? Votre noble mari ne s’est-il pas engraissé avec l’argent de l’État lorsque Jupiter a vendu Alstom à son entreprise avant de la racheter deux fois plus cher ? Pour l’une comme pour l’autre, pas de charité ni de pitié, ce n’est pas à ces gens là que l’on doit donner les moyens d’exister, ceux qui les ont éduqués ne leur ont-ils jamais rappelé qu’il était mauvais de vouloir vivre au-dessus de ses moyens ? Un zénith, c’est pour les artistes, pas pour les mauvaises marionnettes en copie bleu pastel du pouvoir en place. Quant à l’épiphénomène qui se voulait reconquérant, le nouveau Gargamel, il n’était qu’un apprenti sorcier, une sorte de centriste de droite extrême, un Jupiter identitaire dont la candidature aurait pu, en plus de ruiner les pensionnaires de la rue de Vaugirard, empêcher l’héritière d’accéder au morne débat, un Waterloo politique. Et puis il y avait les anecdotiques traditionnels : les deux trotskistes dont l’un n’est là que parce qu’il peut invectiver ses maîtres une fois tous les cinq ans ; le complotard qui corrompt par sa seule parole l’idée même du souverainisme et de la souveraineté nationale. Finalement, dans toute cette tambouille, il ne manquait qu’Emmanuel Riehl.

 

Je disais donc, la France méritait mieux que cette campagne médiocre, que ces candidats sans réelle vision, assurés d’être présents au premier tour par la grande mansuétude des médias, propriétés des grands amis du chef, lesquels lui ont allègrement servi la soupe. Tous les formats étaient faits pour que l’enfant chéri des milliardaires soit mis en avant plus que tous les autres, ne serait-ce qu’en n’invitant pas tous les candidats dans une émission consacrée quasiment exclusivement à la situation ukrainienne qui, même si elle préoccupante, a occulté les sujets majeurs. Déjà avant que les candidats le soient officiellement, j’avais remarqué cette promptitude médiatique à ne parler que de ceux que les chefs avaient envie de voir — j’entends par chefs ceux qui possèdent les médias. Aucun place n’était laissée à des candidats méconnus du grand public : en somme, le neveu du cousin de la Princesse de Neuilly aurait pu être invité pour parler de madame dans la matinale d’Inter quand Hélène Thouy, Anasse Kazib et Georges Kuzmanovic se partageaient de temps à autre une douzaine de minutes en deuxième partie de soirée sur une chaîne info. Aucun entrain, aucun projet pour la France, voilà ce qui a caractérisé cette campagne qui n’a eu pour résultat qu’un vote de classe teinté d’un vote utile, un vote de peur, à demi pour, à contre-courant de ce qu’il doit être. C’est pourquoi, aujourd’hui, la Nation est morcelée en un conflit électoral de générations, de territoires, et un non choix s’offre à nous.

 

Alors, que faire ? À qui faire barrage ? Est-ce vraiment la question ? Doit-on signer la mort de notre système social, la casse des services publics, l’abandon de la France dans une Europe fédérale ? Doit-on, une nouvelle fois, voter contre alors que l’on sait pertinemment que cela sera, à nouveau, compris comme une adhésion à un projet ? Ou alors, doit-on aller chercher un nouveau type de castors, qui ne sont pas eux dans le camp de la morale et qui aimeraient simplement être entendus ? Assister, pour la deuxième échéance consécutive, à ce concert d’hypocrisies en dissonance m’agace, me fâche, parce que l’on sait exactement ce qui se passera, c’est ce qui s’est fait pendant cinq ans. Si l’une tend à discriminer les gens par leurs différences innées, l’autre le fait par les différences acquises : le petit blanc contre la cuillère en argent de papi, c’est là le choix que je n’ai pas envie de faire et, quand je vois tous se mobiliser « contre la haine » en ressortant des vieux discours ou en traitant de fascistes ceux qui se dresseraient contre leur morale bourgeoise — Raphaël Glucksmann et les influenceurs en vacances à Dubaï en tête, je réponds que l’autoritarisme financier néolibéral ne vaut pas mieux que les ascendances collaborationnistes. Non, ne pas voter ou voter blanc, ce n’est pas « faire le jeu de l’extrême droite », c’est refuser de choisir, c’est s’élever d’une manière silencieuse contre cette mascarade, cette négation de la France et de ses valeurs universalistes : au croisement de la République sociale de Jaurès et de l’indépendance nationale de De Gaulle.

Pendant le débat de mercredi, aucun mot n’a été prononcé sur l’urgence écologique, sur le déclin du vivant, sur l’accès de tous aux services, sur l’accès de tous à des transports publics de qualité, sur la démocratie directe, sur l’indépendance de la France, sur un renouveau agricole, sur l’alimentation pour tous et le refus du libre-échange. Rien non plus sur les vaccins, sur McKinsey, sur les éborgnés des ronds-points. Ce débat a été à l’image de cette campagne : merdique, au comble de la médiocratie, aux confins du nauséabond.

 

Oui, la France méritait mieux, et il faudra être fort pour empêcher que cette mascarade ne perdure, encore ; chacun à son échelle, à sa manière, je sais quelle sera la mienne, dès le début de l’été. La France mérite mieux, et vous aussi. Beaucoup mieux.

Douze candidats, mais trois nuances. © Midi Libre

Douze candidats, mais trois nuances. © Midi Libre

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